● Du grand théâtre mauritanien | Par Ethmane Sall (Enseignant-chercheur)

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Du grand théâtre mauritanien
Il faut crever la face de cette chaîne d’hypocrisies instinctives pour libérer les énergies, sortir des sables impassibles et déchirer le ventre du large avec une nacelle ivre qui n’obéit à aucune fixité idéologique. C’est à partir de cette rupture d’impossibles que les consciences mauritaniennes peuvent s’accorder pour jouer avec les mêmes notes et fréquenter la beauté.

La Mauritanie est bâtie avec une chaîne d’hypocrisies industrielles qui prend sa source dans les tréfonds de l’insondable estomac du sable mouvant aux dents de mandibule qui avale les voiles véliques du vent de la lune ronde du printemps.

Les gens avancent masqués dans ce pays bordé de diamants rares et de vermines nuisibles. Porter un masque et se livrer au jeu des « convenances » saugrenues, telle est la chose la mieux visitée et la mieux incarnée en Mauritanie. On trouve étrangement un sentiment de ravissement dans l’incarnation de cette chose qui couvre habilement la surface minée d’un amas de désolations mirifiques. La prosaïque réalité avilissante de ce pays n’encourage ni le rêve d’une vie nouvelle, ni le désir d’autre chose. Les Mauritaniens sont emprisonnés par eux-mêmes : sans le savoir, ils se sont installés dans des balkans striés qui les éloignent de ce qui les relie. C’est bien là le malheur !

Cette balkanisation consentie favorise des déterminations sociales liées à des identités sclérosées qui fluent de partout et qui nuisent la sociologie de « La Relation ». C’est la culture et la science qui permettront aux Mauritaniens de sortir de cette misérable ornière. Il faut une réelle volonté politique pour penser l’école mauritanienne sous un autre angle, en dehors des systèmes de pensées claniques, mafieux et mortifères. La « vie politique » (si cette expression est encore appropriée dans ce non-pays) ou la débâcle mauritanienne est le reflet de la société dans laquelle elle évolue : c’est l’immobilisme qui détone et qui gouverne les destinées des peuplades abusées, larguées à la dérive dans une obscurité infinie.

C’est à travers les allées sinueuses de cette inégale obscurité que les hommes en soutane déploient leurs manœuvres dilatoires pour empêcher toute possibilité d’action. Ainsi, lors des manifestations du 28 novembre 2022, il y eut de nombreuses arrestations arbitraires et capricieuses, de Nouakchott à Maghama en passant par Bababé et Djeol. Pour avoir exercé leur droit à la contradiction, les manifestants de ces villes ont été violentés et emprisonnés. Ces arrestations massives et abusives témoignent de la déréliction qui ronge le pouvoir de l’intérieur. Les hommes en soutane veulent préserver la médiocrité comme « modèle » de gouvernance : ne rien dire, ne rien faire, ne rien entreprendre et sortir les dents nacrées à chaque fois que les caravanes des Soucougnans de la Cour passent. C’est cette horrible misère qu’il faut abolir dans les consciences et dans les pratiques culturelles de ce pays pour concevoir le désir d’autre chose, utopie fondatrice d’un véritable imaginaire politique.

Les franges sociales de la Mauritanie sont habitées par trois complexes majeurs: le complexe d’une vanité vexée, le complexe d’une supériorité supposée et le complexe d’une inféodation intériorisée. Ces trois complexes sont symbiotiquement liés : ils se nourrissent, s’interpellent, se bousculent, s’invectivent, se toisent et s’accomplissent les uns par rapport aux autres. Il existerait même des inférences inductives et déductives entre ces complexes qui garrottent les interactions et rapports interpersonnels au sein de ce pays royalement dénudé.

Le complexe de vanité vexée est incarné par les Cornichons loufoques qui colorent (avec hypocrisie) la procession de la Cour où tout se décide d’une main ferme. Ces cornichons représentent un vil conflit affectif lié à un attachement érotique aux serpents lubriques de l’oligarchie de la Cour. Ils lui servent d’auxiliaires dans un élan servile et salace pour soutirer la babeurre de la baratte. Ils chérissent et haïssent les chaînes qu’ils se sont eux-mêmes forgées sans montrer aucune volonté de s’en défaire.

Le complexe de la supériorité supposée concerne la frange démographiquement minoritaire qui détient les lois du ciel et de la terre, les juges de la déraison et de la vésanie, les hallebardiers de l’insolence et du mépris, les apôtres de l’espérance trompée, en amont l’oligarchie farfelue de la dégénérescence. Cette frange est également aliénée et esclave et prisonnière du complexe incarné même si elle possède le pouvoir d’arrêter le temps dans ce pays accidenté.

Le complexe de l’inféodation intériorisée est représenté par le reste de la « population », emberlificoté, trompé et manipulé sans cesse, tourmenté dans le roulis du tangage infernal du pays.Ce complexe implique des ramifications sociales qui s’étagent à l’intérieur de chaque peuplade. Ainsi, chaque peuplade est caractérisée par une stratification exclusive qui établit une hiérarchie déséquilibrée par filiation. Ces ramifications odieuses et délictuelles affectent des formes diverses au sein des misérables sociologies culturelles des peuplades mauritaniennes : certaines strates sont encordées par leurs préjugés et leurs marottes existentielles ; d’autres par leurs besoins matériels et leur vouloir obscur lié aux manipulations exterminatrices des sujets actants de la hiérarchie mortifère en question.

De manière abusive et terrible, les Mauritaniens choisissent de fermer les yeux devant des réalités pestilentielles. Ils sont conscients de leur maladie, aiment leur maladie et n’ont aucune envie de se guérir de cette maladie qui leur ronge pourtant de l’intérieur, qui les enténèbre dans une ornière couverte d’une végétation charnue….Quand un malade choisit d’embrasser sa maladie, de s’accommoder avec elle, il ne peut se plaindre des conséquences qui en découlent, il ne doit surtout pas attendre la commisération des autres.

La Mauritanie est un non-pays qui se dévitalise au quotidien : l’essentiel de sa matière grise est exilé et réfugié à l’étranger. C’est l’immobilisme qui fait la loi dans ce non-pays : on encourage ni la créativité, ni l’engagement, ni l’initiative. Tout le monde s’abrite sous le parapluie de l’hypocrisie en espérant y tirer profit, tant bien que mal. Je l’avais déjà dit : ce non-pays est une addition d’hypocrisies. Il faut crever la face de cette chaîne de duplicités instinctives pour libérer les énergies, sortir des sables impassibles et déchirer le ventre du large avec une nacelle ivre qui n’obéit à aucune fixité idéologique, une nacelle qui ouvre à l’infini. C’est à partir de cette rupture d’impossibles que les consciences mauritaniennes peuvent s’accorder pour jouer avec les mêmes notes et fréquenter la beauté, hure du vivre-ensemble.

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